Charles Robert DARWIN (1809-1882)
• Présentation
• 1. L’Origine des espèces
• 2. La Filiation de l’Homme
A. Le transformisme darwinien étendu à l’Homme
B. L’effet réversif de l’évolution
C. La sélection sexuelle
D. Sélection sexuelle et sélection naturelle
• 3. Les altérations du darwinisme à l’époque victorienne
• Références
Le plus célèbre des naturalistes anglais, auteur de la théorie de la descendance modifiée par le moyen de la sélection naturelle (plus couramment désignée sous les termes de « théorie de l’évolution »), à laquelle s’est rallié l’ensemble de la pensée transformiste moderne, naquit à Shrewsbury (Shropshire) dans une famille aisée, cinquième enfant et second fils de Robert Waring Darwin, médecin connu, et de Susannah Wedgwood, fille de Josiah Wedgwood, céramiste renommé et patron d’industrie. Son grand-père, Erasmus Darwin, médecin, naturaliste et poète, était l’auteur d’une œuvre originale (dont la fameuse Zoonomia), trop souvent réduite à ses aspects insolites, où se trouvaient pour la première fois exposées des idées transformistes assez voisines de celles que le Français Lamarck allait soutenir avec un grand courage et assez peu de succès à partir de l’année 1800. Après de pénibles études de médecine à Édimbourg, puis de théologie et d’humanités à Cambridge où il s’adonne à sa passion des Insectes et devient le disciple et l’ami du botaniste John Stevens Henslow, qui l’introduit dans le monde, le jeune Charles est reçu bachelor of Arts en 1831, et part explorer le nord du Pays de Galles en compagnie du géologue Adam Sedgwick, également professeur à Cambridge. À son retour, grâce à la protection de Henslow, il s’embarque pour un voyage autour du monde, le 27 décembre, en qualité de naturaliste non appointé, à bord du vaisseau le Beagle, commandé par le jeune capitaine FitzRoy. Il emporte avec lui une bibliothèque naturaliste comportant le premier volume des Principles of Geology du géologue uniformitariste (c’est-à-dire partisan de l’uniformité globale des causes des transformations physiques du globe, dans le passé comme dans le présent) Charles Lyell. Il explore ainsi l’archipel du Cap-Vert (où il vérifie le bien-fondé des théories de Lyell appliquées à l’observation des îles volcaniques), les côtes de l’Amérique du Sud (où ses recherches paléontologiques le conduisent à mettre en évidence de plus en plus nettement la ressemblance entre représentants fossiles et vivants de certains types de Mammifères), la Terre de Feu, les îles Falkland, l’île Chiloé, la Cordillère des Andes, les îles Galápagos (d’où il tirera l’intuition précise des processus qui conduisent à la distribution géographique des organismes et où il examine certaines modalités de ce qui lui apparaîtra bientôt comme étant la naissance d’espèces nouvelles à partir de formes souches), Tahiti (où il observe pour la première fois un récif de corail avant de réfléchir, après son passage aux îles Keeling, dans l’océan Indien, au processus de sa formation), la Nouvelle-Zélande, l’Australie, la Tasmanie, l’île Maurice, Le Cap. Au Brésil, il a éprouvé un sentiment de violente révolte devant l’esclavage des Noirs, qu’il ne cessera jamais de dénoncer comme une souillure indigne de certaines nations « civilisées ». Il rapporte de ce voyage qui a duré presque cinq ans (jusqu’au 2 octobre 1836) un Journal of Researches qui contient la plupart des observations et des matériaux propres à l’élaboration de sa future théorie. Sa publication en 1839 s’accompagnera, sur une durée plus longue, de celle des documents géologiques, paléontologiques et zoologiques confiés par Darwin à l’expertise de différents spécialistes (Richard Owen pour les Mammifères fossiles, George Robert Waterhouse pour les Mammifères, John Gould pour les Oiseaux, Leonard Jenyns pour les Poissons, Thomas Bell pour les Reptiles) ou réservés à différentes monographies qu’il rédigera lui-même. Dès 1837, les progrès de l’investigation sur les résultats de voyage (celle de Gould en particulier) accélèrent la mise en place des idées de Darwin. En juillet, il ouvre son premier carnet de notes (Notebook) sur la transmutation des espèces. En septembre-octobre 1838, la lecture du l’Essai sur le principe de population de Thomas Robert Malthus (1798) fixe ses idées en leur fournissant un élément de modélisation mathématique (le rapport tensionnel entre la croissance géométrique de la population et l’augmentation simplement arithmétique des ressources, impliquant compétition et élimination), et le conduit à donner forme à ce qui constituera l’élément central de sa théorie (la sélection naturelle résultant de la lutte pour l’existence). En 1839, Darwin devient membre de la Royal Society de Londres, épouse sa cousine Emma Wedgwood (avec laquelle il s’installera trois ans plus tard à Down, au sud-est de Londres), et entreprend une enquête par questionnaire sur l’élevage. En 1842, il publie son ouvrage sur les récifs de corail, The Structure and Distribution of Coral Reefs, et rédige siccinctement la première esquisse manuscrite de la présentation de sa théorie de la « transmutation » des espèces. Il travaille en même temps à un ouvrage sur les îles volcaniques, dont il poursuivra la rédaction l’année suivante, et qui formera en 1844 le second volume de la Geology du Voyage, d’orientation uniformitariste. Au cours de cette même année, il achève un Essay sur l’ascendance commune des espèces et leur formation progressive par modifications sélectionnées (seconde esquisse, qui ne sera publiée qu’en 1909 par Francis Darwin sous le titre The Foundations of the Origin of Species), qu’il recommande aux soins de son ami le botaniste Joseph Dalton Hooker, craignant que sa mauvaise santé ne l’empêche d’aller plus loin. Son ouvrage sur la géologie de l’Amérique du Sud paraît en 1846. Il entreprend ensuite la rédaction d’une monographie sur les Crustacés Cirripèdes, qui l’occupera jusqu’à sa publication (1851-1854, 4 vol.). En 1855 et 1856, il se concentre sur la distribution géographique des organismes, en même temps qu’un naturaliste plus jeune, Alfred Russel Wallace (1823-1913), dont les idées convergent de plus en plus nettement avec les siennes. Préoccupé par le risque de voir son ami dépouillé de la paternité de sa découverte, Lyell intervient pour convaincre Darwin de publier sa théorie. Darwin entreprend alors la réalisation d’un immense ouvrage qui deviendra, après allégement, L’Origine des espèces. Ayant reçu un manuscrit de Wallace où se trouve développée l’idée d’une transformation des espèces par le jeu de la sélection naturelle, Darwin, conscient de sa réelle antériorité et stimulé par l’amitié de Lyell et de Hooker, accepte que Lyell organise devant la Linnean Society de Londres une communication commune avec Wallace, alors en Malaisie (« On the Tendency of Species to form Varieties, and on the Perpetuation of Varieties by Natural Means of Selection »), qui a lieu le 1er juillet 1858. Darwin résume ensuite son manuscrit et le publie enfin sous le titre On the Origin of Species by Means of Natural Selection, or The Preservation of Favoured Races in the Struggle for Life, le 24 novembre 1859. La première édition est épuisée sitôt parue. Prudemment, Darwin accentue dans la deuxième (1860) la mention expresse du Créateur, mais sa pensée s’est déjà détachée sans retour du conformisme religieux et de la théologie naturelle qui ont régné sur ses années d’apprentissage. L’idée providentialiste est congédiée à jamais, au profit d’une explication naturelle des équilibres et des dynamiques qui régissent le devenir du monde vivant. Dès l’année suivante (1861), il commence un ouvrage sur la variation des organismes. En 1862, il publie un livre sur la fécondation des Orchidées, puis, en 1863, travaille sur le dimorphisme floral, sur le mimétisme, de nouveau sur la fécondation des Orchidées, sur la génération spontanée et sur la sélection naturelle, sans abandonner pour autant la géologie. En 1864, il rédige une étude sur les plantes grimpantes qui sera publiée l’année suivante, et obtient la médaille Copley de la Royal Society of London. En 1868, il publie The Variation of Animals and Plants under Domestication, vaste illustration des thèses de L’Origine qui contient dans son dernier chapitre une « hypothèse provisoire » sur la génération assez sensiblement inspirée par la tradition newtonienne (Buffon, Maupertuis), la théorie de la « pangenèse », et commence à travailler à The Descent of Man, and Selection in relation to Sex, ouvrage majeur qui paraîtra en 1871. En 1872 paraissent la 6e édition (regardée comme définitive) de The Origin, et The Expression of the Emotions in Man and Animals, qui jouera un rôle dans l’inspiration théorique de la psychologie comparée et de l’éthologie modernes. En 1875 paraissent Insectivorous Plants et l’édition en volume du travail sur les plantes grimpantes, On the Movements and Habits of Climbing Plants. En 1876, The Effects of Cross and Self Fertilisation in the Vegetable Kingdom. En 1877, The Different Forms of Flowers on Plants of the same Species. En 1880, The Power of Movement in Plants. En 1881, The Formation of Vegetable Mould, through the Action of Worms. Le 19 avril 1882, Darwin s’éteint à Down, laissant une immense correspondance, des notes inédites et une Autobiographie, rédigée pour l’essentiel en 1876 à l’intention de ses enfants, que le souci de respectabilité d’Emma Darwin – au regard des convictions exprimées en matière de religion et des jugements portés sur des personnes encore vivantes – amputera pour un temps de certains de ses plus intéressants passages. La dépouille de Darwin, accompagnée par des personnalités éminentes, sera inhumée une semaine plus tard, au terme d’un cérémonial imposant, dans le « Panthéon anglais » de l’Abbaye de Westminster.
L’actualité permanente de la pensée darwinienne (toujours en débat à l’intérieur comme à l’extérieur de son champ d’application strictement naturaliste) est le signe de la constance et de la force exceptionnelles de ses enjeux. Si la résurgence périodique et multiforme du créationnisme (théorie biblique, plus ou moins adaptée selon les circonstances et les courants, de la création séparée des espèces par un dieu personnel omniscient), en dépit des réajustements récents de l’Église catholique reconnaissant le fait de l’évolution tout en essayant encore d’écarter ses conséquences théoriques légitimes, répète à l’identique la structure des premières résistances et objections opposées (par les créationnistes fixistes ou certains « évolutionnistes » finalistes) au transformisme darwinien, d’autres stratégies (comme celles mises en œuvre par la sociobiologie américaine dans ses applications les plus brutales à la vie des sociétés humaines) visent au contraire à tirer d’une référence radicale, exclusive et sommaire aux concepts fondateurs de la théorie sélective des conséquences illégitimes et contraires à la logique expressément développée par Darwin au fil de sa réflexion biologique et anthropologique. Ces débats perpétuellement renaissants reposent le plus souvent sur une méconnaissance foncière des textes et de la rationalité propre à la théorie darwinienne saisie dans la totalité de ses dimensions.Un schéma logique en dix points résume l’exposé didactique de la thèse darwinienne :
1. Tous les êtres vivants, qu’ils vivent à l’état naturel ou en condition domestique, présentent des variations organiques individuelles, plus fréquentes et aisément observables dans le second cas. 2. S’en induit l’existence d’une capacité naturelle indéfinie de variation des organismes (variabilité). 3. On observe qu’une reproduction orientée peut fixer héréditairement certaines de ces variations (avantageuses pour l’Homme) par accumulation dans un sens déterminé, avec ou sans projet raisonné ou méthodique (sélection artificielle, sélection inconsciente). 4. On en induit l’hypothèse d’une aptitude des organismes à être sélectionnés d’une manière analogue au sein de la nature (« sélectionnabilité »). Question : quel peut être l’agent de la « sélection naturelle » ainsi inférée de cette « sélectionnabilité » avérée (par ses actualisations domestiques) des variations organiques ? 5. On évalue le taux de reproduction des diverses espèces et leur capacité de peuplement. 6. On en déduit l’existence d’une capacité naturelle d’occupation totale et rapide de tout territoire par les représentants d’une seule espèce, animale ou végétale, se reproduisant sans obstacle. 7. On observe cependant à peu près universellement, au lieu de cette saturation, l’existence d’équilibres naturels constitués par la coexistence, sur un même territoire, de représentants de multiples espèces. 8. On déduit de l’opposition entre les points 6 et 7 la nécessité d’un mécanisme régulateur opérant au sein de la nature et réduisant l’extension numérique de chaque population. Un tel mécanisme est nécessairement éliminatoire, et s’oppose par la destruction à la tendance naturelle de chaque groupe d’organismes à la prolifération illimitée. C’est la lutte pour l’existence (« struggle for life »), qui effectue une sélection naturelle dont le principal effet est la survie des plus aptes (par le jeu de l’élimination des moins aptes). Question : qu’est-ce qui détermine une meilleure adaptation ? 9. On observe la lutte pour l’existence au sein de la nature. 10. Pour répondre à la question des facteurs d’une meilleure adaptation, on fait retour à la variabilité, et, sous la pression analogique du modèle de la sélection artificielle, on forge l’hypothèse d’une sélection naturelle qui, à travers la lutte (interindividuelle, interspécifique et avec le milieu), effectuerait le tri des variations avantageuses dans un contexte donné, et assurerait ainsi le triomphe vital, transmissible héréditairement, des individus qui en seraient porteurs. Ces derniers seraient par là même sur la voie d’une amélioration constante de leur adaptation à leurs conditions de vie et à celles de la lutte : « C’est à cette conservation des variations favorables », écrit Darwin, « et à la destruction de celles qui sont nuisibles, que j’ai appliqué le nom de ‘sélection naturelle’ ou de ‘survivance du plus apte’. » (L’Origine des espèces, chap. IV.)The Descent of Man and Selection in Relation to Sex, troisième grand ouvrage de synthèse de Darwin après The Origin et The Variation, a été introduit en France à travers la traduction de Jean-Jacques Moulinié (1872), où Descent (qui signifie le fait de « descendre de », d’être issu d’une souche ou d’une lignée, de provenir d’une origine, de procéder d’une série d’ancêtres, de représenter le point d’aboutissement actuel d’une généalogie, bref, d’avoir une ascendance) a été longtemps traduit par « descendance », dont l’usage en français, dans un tel emploi, est rare et contesté. Des raisons sémantiques précises nous ont fait préférer pour cette traduction, en 1999, le terme de « filiation » pris dans son acception juridique − établir la filiation de quelqu’un consistant à authentifier son ascendance en remontant le long du lien (de descendance) qui unit jusqu’à lui des individus directement issus les uns des autres par un acte de génération. L’usage aujourd’hui s’est imposé de citer cet ouvrage en recourant au terme non ambigu de filiation.
Si l’on mesure dans toute son ampleur le choc produit dans les consciences par L’Origine des espèces, déjà amplement diffusée à ce moment aux États-Unis et sur le continent européen, on pourra évaluer l’intérêt que pouvait susciter en 1871 un ouvrage attendu et présenté comme l’extension à l’Homme de la théorie de la descendance avec modifications, et donc comme l’émancipation définitive du discours naturaliste par rapport au plus résistant des interdits théologiques, celui qui tendait à préserver ultimement l’Homme de son inscription au sein de la série animale. L’enjeu scientifique d’un tel livre apparaissait alors comme indissociable d’enjeux philosophiques et politiques déterminants au cœur d’une époque d’expansion et de consolidation des emprises coloniales, et dans une société en restructuration qui était le théâtre d’un conflit non seulement entre conservatisme et libéralisme, mais aussi bien entre différentes versions du libéralisme conquérant.
A. Le transformisme darwinien étendu à l’Homme
« L’unique objet de cet ouvrage », écrit Darwin, « est de considérer : premièrement, si l’Homme, comme toute autre espèce, descend de quelque forme préexistante ; secondement, le mode de son développement ; et, troisièmement, la valeur des différences existant entre ce qu’on appelle les races humaines. »
Le premier temps de la démonstration de Darwin consiste à établir la liste des phénomènes de ressemblance qui selon lui rendent indiscutable le lien qu’il veut établir entre la constitution anatomo-physiologique de l’Homme et celle des autres membres du groupe des Vertébrés. Ses arguments, empruntés d’abord à l’anatomie comparée, et particulièrement à Huxley, sont déjà classiques : identité de conformation du squelette, des muscles, des nerfs, des vaisseaux, des viscères, et même de l’encéphale lorsqu’il s’agit des Singes supérieurs ; communicabilité réciproque de certaines maladies entre les animaux − les Singes surtout − et l’Homme ; parenté entre les parasites qui affectent les Hommes et les animaux ; analogie également entre les processus qui, chez les uns et les autres, suivent les phases de la lune, entre les phénomènes cicatriciels, entre les comportements reproducteurs, entre les différences qui séparent les générations et les sexes, entre les stades et les mécanismes du développement embryonnaire, singulièrement lorsque l’on observe la parturition des Singes ; communauté de la détention d’organes rudimentaires ; existence d’un revêtement laineux (lanugo) chez le fœtus humain au sixième mois ; traces persistantes, chez l’Homme, à l’extrémité inférieure de l’humérus, du foramen supra-condyloïde, ouverture par laquelle passent, chez « quelques Quadrumanes, les Lémurides et surtout les Carnivores aussi bien que beaucoup de Marsupiaux », le « grand nerf de l’avant-bras et souvent son artère principale », etc.
Mais les données mises en œuvre par la grande somme compilatoire et illustrative que constitue The Descent excèdent considérablement les seuls domaines de l’anatomie et de la physiologie comparées. Celles que Darwin emprunte également à l’anthropologie physique, à l’anthropométrie, à l’éthologie humaine et à l’étude des sociétés « civilisées » et des cultures exotiques (dont certaines remontent à sa propre expérience de voyageur) lui fournissent les éléments qui lui permettent de mettre en évidence le fait que la variabilité, prouvée chez l’Homme sur le terrain de l’anatomie, l’est également sur les plans raciologique et sociologique, et que, sous des modalités qui n’ont été, hélas, convenablement analysées que bien tard, la sélection se poursuit au sein de l’humanité.
B. L’effet réversif de l’évolution
Darwin se livre donc dans La Filiation à un essai − inévitable du point de vue de la cohérence et de la portée de sa théorie − d’unification de l’ensemble des phénomènes biologiques et humains sous l’opération d’un seul principe d’explication du devenir : ce dernier dérive très normalement des sciences naturelles qui viennent d’être énumérées, Darwin parcourant leurs différents domaines pour aboutir sans heurt au champ de ce que l’on nommerait aujourd’hui l’anthropologie sociale, ainsi qu’à des observations psychosociologiques et éthiques qui, pour être spécifiquement humaines, n’en sont pas moins évolutivement liées à des données et à des conduites dont l’analyse tend à faire apparaître l’origine au sein des groupes animaux.
Or, contrairement aux interprétations qui ont dominé pendant plus d’un siècle la lecture (en réalité, dans la plupart des cas, la non-lecture) du texte de La Filiation, ce continuisme ne fonde ni ce que l’on a appelé d’une manière expéditive le « darwinisme social », présent au contraire chez Spencer et Haeckel, ni, sous le motif de la « poursuite de la sélection », aucune forme ultérieure d’inégalitarisme social ou racial. En effet, La Filiation établit qu’un renversement s’est opéré, chez l’Homme, à mesure que s’avançait le processus civilisationnel. L’Homme étant en effet la seule espèce qui ait été capable de transformer largement son milieu en adjuvant de survie, et d’échapper ainsi aux plus redoutables des pressions sélectives, son évolution ne dépend plus que dans une mesure très affaiblie de la sélection naturelle. La marche conjointe du progrès (sélectionné) de la rationalité, et du développement (également sélectionné) des instincts sociaux, l’accroissement corrélatif du sentiment de sympathie, l’essor des sentiments moraux en général et de l’ensemble des conduites et des institutions qui caractérisent la vie individuelle et l’organisation communautaire dans une nation civilisée permettent en effet à Darwin de constater que la sélection naturelle n’est plus, à ce stade de l’évolution, la force principale qui gouverne le devenir des groupes humains, mais qu’elle a laissé place dans ce rôle à l’éducation et aux différents opérateurs culturels de la structuration sociale. Or ces derniers facteurs dotent les individus et la nation de principes et de comportements qui s’opposent, précisément, aux effets anciennement éliminatoires de la sélection naturelle, et qui orientent à l’inverse une partie de l’activité sociale vers la protection et la sauvegarde des faibles de corps et d’esprit, aussi bien que vers l’assistance aux déshérités. La sélection naturelle a ainsi sélectionné les instincts sociaux, qui à leur tour ont développé des comportements et favorisé des dispositions éthiques ainsi que des dispositifs institutionnels et légaux anti-sélectifs et anti-éliminatoires. Ce faisant, la sélection naturelle a travaillé à son propre déclin (sous la forme éliminatoire qu’elle revêtait dans la sphère infra-civilisationnelle), en suivant le modèle même de l’évolution sélective − le dépérissement de l’ancienne forme et le développement substitué d’une forme nouvelle : en l’occurrence, une compétition dont les fins sont de plus en plus la moralité, l’altruisme et les valeurs de l’intelligence et de l’éducation. Sans rupture, Darwin, à travers cette dialectique évolutive qui passe par un renversement progressif que nous avons nommé l’effet réversif de l’évolution, installe toutefois dans le devenir, entre biologie et civilisation, un effet de rupture qui interdit que l’on puisse rendre son anthropologie responsable d’une quelconque dérive en direction des désastreuses « sociologies biologiques ». Il s’oppose ainsi expressément au racisme, au malthusianisme et à l’eugénisme, contrairement à l’erreur courante qui lui attribue la justification de ces trois systèmes de prescriptions éliminatoires. Cette remarquable dialectique du biologique et du social, qui se construit pour l’essentiel entre les chapitres III, IV, V et XXI de La Filiation et qui, en plus de s’opposer à toutes les conduites oppressives, préserve l’indépendance des sciences sociales en même temps qu’elle autorise et même requiert le matérialisme éthique déductible d’une généalogie scientifique de la morale, n’a été reconnue dans toute sa force logique qu’à partir du début des années 1980 [1]. Le continuum biologico-social darwinien, dont une bonne métaphore didactique est l’image topologique de la torsion du ruban de Möbius [2], est un continuum réversif, impliquant donc un passage progressif au revers de la loi évolutive initiale − la sélection naturelle, en tant que mécanisme en évolution, se soumettant elle-même, de ce fait, à sa propre loi. Il faudra sans doute revenir longtemps sur l’explication de ce concept qui rend caduque la prétention ordinaire de la plupart des philosophies à déclarer inconcevable la possibilité même d’un matérialisme intégral englobant l’éthique.
Le traitement de la sélection sexuelle dans La Filiation est extrêmement documenté, et parcourt un domaine zoologique très vaste avant de revenir à l’Homme après un long détour passant par l’interrogation de la proportion numérique des sexes (sex-ratio) et des différences entre les sexes dans les espèces animales.
La sélection sexuelle dépend « de l’avantage que certains individus ont sur d’autres de même sexe et de même espèce, sous le rapport exclusif de la reproduction » (chap. VIII). En d’autres termes, la sélection sexuelle ne repose pas directement sur la lutte pour l’existence, mais essentiellement sur une rivalité des mâles dans la compétition pour la possession des femelles, compétition dont les effets, moins rigoureux en règle générale que ceux de la sélection naturelle, sont momentanément disqualifiants pour les vaincus ou les évincés, sans être en principe définitivement éliminatoires. La sélection sexuelle, qui sélectionne des caractères sexuels secondaires et repose en grande partie sur l’hérédité « liée à un seul sexe », assure généralement le triomphe des mâles les plus vigoureux et les plus combatifs, ou de ceux qui possèdent une particularité morphologique favorisant leur suprématie au sein de cette compétition (cornes et ergots plus développés respectivement chez le Cerf et le Coq, crinière plus épaisse chez le Lion, plumage plus éclatant et chant plus mélodieux chez les Oiseaux). La préférence et le choix exercés par les femelles jouent dans ce processus un rôle déterminant. Darwin retrouve au sein de l’espèce humaine des traits de comportement qui manifestent la persistance d’une sélection sexuelle sous les critères (variables suivant les cultures) de la beauté masculine et féminine, et reconnaît le rôle qu’ils jouent lors des choix nuptiaux. La sélection sexuelle, complément de la sélection naturelle, peut cependant avoir des effets anti-adaptatifs : par exemple la lourde parure de noce de tel Oiseau mâle pendant la période des parades nuptiales peut l’empêcher quasiment de voler et constituer ainsi un obstacle à sa survie. Que la tension vers l’union sexuelle reproductive - qui possède à l’évidence un lien d’origine avec ce que l’on appelle l’amour - puisse comporter d’une manière intime et permanente un risque de mort est une observation darwinienne qui ne devrait pas échapper à la perspicacité de la psychanalyse.
D. Sélection sexuelle et sélection naturelle
La sélection sexuelle, on l’a dit, sélectionne des caractères sexuels secondaires, c’est-à-dire des organes ou des traits morpho-anatomiques appartenant en propre à un seul sexe (le sexe mâle en l’occurrence), lesquels, sans avoir un lien direct avec la génération, en favorisent cependant l’accomplissement : c’est le cas par exemple des organes de préhension développés chez les seuls mâles de nombreuses espèces (certains Crustacés notamment), et qui leur servent à saisir et à maintenir la femelle lors de l’accouplement.
L’hérédité liée à un seul sexe est donc nécessaire pour penser la transmission des caractères sexuels secondaires. Lorsque ces derniers sont l’occasion d’une supériorité dans la lutte, les individus qui en sont porteurs, et qui sont de ce fait capables d’engendrer un plus grand nombre de descendants et d’en assurer la protection, leur transmettent cet avantage. Certes, la sélection naturelle suffit à expliquer chez le mâle l’existence d’organes tels que les organes des sens et de la locomotion, qui servent à trouver la femelle, en même temps qu’à de nombreux autres usages qui paraissent spécialement destinés au maintien de la femelle pendant l’accouplement. Cependant, la sélection sexuelle a dû jouer un rôle non négligeable dans la formation et le perfectionnement de ces organes, dans la mesure où c’est ce perfectionnement même qui assure à certains mâles leur domination sur d’autres mâles, et confère aux mieux armés la faculté de transmettre cet avantage à leurs descendants mâles. Il faut également noter que les mâles avantagés ayant la possibilité de conquérir les femelles les plus saines et les plus vigoureuses, qui sont également les plus précoces sous le rapport de la capacité d’engendrement, l’avantage se répartit entre les descendants des deux sexes sous la forme commune d’une santé et d’une vigueur physique augmentées.
« La sélection sexuelle », écrit Darwin, « a dû provoquer le développement de beaucoup d’autres conformations et de beaucoup d’autres instincts ; nous pourrions citer, par exemple, les armes offensives et défensives que possèdent les mâles pour combattre et pour repousser leurs rivaux ; le courage et l’esprit belliqueux dont ils font preuve ; les ornements de tous genres qu’ils aiment à étaler ; les organes qui leur permettent de produire de la musique vocale ou instrumentale et les glandes qui répandent des odeurs plus ou moins suaves ; en effet, toutes ces conformations servent seulement, pour la plupart, à attirer ou à captiver la femelle. Il est bien évident qu’il faut attribuer ces caractères à la sélection sexuelle et non à la sélection ordinaire, car des mâles désarmés, sans ornements, dépourvus d’attraits, n’en réussiraient pas moins dans la lutte pour l’existence, et seraient aptes à engendrer une nombreuse postérité, s’ils ne se trouvaient en présence de mâles mieux doués. Le fait que les femelles, dépourvues de moyens de défense et d’ornements, n’en survivent pas moins et reproduisent l’espèce, nous autorise à conclure que cette assertion est fondée. » (Chap. VIII.)
Ainsi, la sélection sexuelle se superpose à la sélection naturelle, travaillant elle aussi à une amélioration qui, pour être de l’ordre de l’aptitude reproductrice et de la transmission en ligne mâle de caractères sexuels secondaires avantageux, n’en atteint pas moins bénéfiquement l’ensemble de la conformation et de la santé foncière des individus des deux sexes, par le double mouvement qui pousse les mâles les mieux doués à s’emparer des femelles les plus saines et les plus tôt prêtes à la fécondation, et les femelles à préférer les mâles les plus attrayants, ce qui a pour conséquence une amélioration globale du niveau physique de la descendance : il devient dès lors difficile de démêler ce qui est dû à la sélection sexuelle et ce qui est l’effet ordinaire de la sélection naturelle.
Il est intéressant de noter que le raisonnement qui chez Darwin sert à établir la naturalité de la sélection sexuelle est le même qui a servi à établir celle de la sélection naturelle : de même en effet que l’Homme pratique une sélection sexuelle artificielle sur ses animaux domestiques − améliorant dans le sens de ses goûts ou de ses besoins telle ou telle race de Coqs par exemple −, de même il en ressort que la nature détient la capacité de sélectionner les caractères sexuels secondaires (dont la variabilité est nettement accusée), dans le sens d’un avantage reproductif, et d’améliorer ainsi l’aspect physique des mâles de telle ou telle espèce. La démarche explicative de Darwin à propos de la sélection sexuelle dans La Filiation de l’Homme est en effet exactement parallèle à celle qui a été mise en œuvre en 1859 dans L’Origine des espèces pour faire comprendre, à travers l’existence avérée de la sélection artificielle, l’existence probable d’une sélection opérant librement au sein de la nature :
« De même que l’homme peut améliorer la race de ses coqs de combat par la sélection de ceux de ces oiseaux qui sont victorieux dans l’arène, de même les mâles les plus forts et les plus vigoureux, ou les mieux armés, ont prévalu à l’état de nature, ce qui a eu pour résultat l’amélioration de la race naturelle ou de l’espèce. Un faible degré de variabilité, s’il en résulte un avantage, si léger qu’il soit, dans des combats meurtriers souvent répétés, suffit à l’œuvre de la sélection sexuelle ; or, il est certain que les caractères sexuels secondaires sont éminemment variables. De même que l’homme en se plaçant au point de vue exclusif qu’il se fait de la beauté, parvient à embellir ses coqs de basse-cour, ou pour parler plus strictement, arrive à modifier la beauté acquise par l’espèce parente, parvient à donner au Bantam Sebright, par exemple, un plumage nouveau et élégant, un port relevé tout particulier, de même, il semble que, à l’état de nature, les oiseaux femelles, en choisissant toujours les mâles les plus attrayants, ont développé la beauté ou les autres qualités de ces derniers. » (Chap. VIII.)
Il semble donc d’une manière générale que chez presque tous les animaux à sexes séparés, il doive y avoir une compétition « périodique et constante » entre les mâles pour la possession des femelles, compétition au sein de laquelle la force, les armes et la beauté physiques des mâles d’une part, le choix exercé par les femelles d’autre part, jouent un rôle déterminant.
Au terme d’un long recensement, Darwin aboutit à la conclusion suivant laquelle les caractères sexuels secondaires sont généralement plus accentués chez les mâles des espèces polygames. En voici la raison : on admet au départ qu’une prépondérance numérique des mâles sur les femelles constitue une condition favorable à la rivalité des mâles, donc au développement chez ces derniers de caractères sexuels secondaires plus ou moins marqués selon les individus, d’où il suit que les mieux armés l’emporteront dans la compétition reproductive. Or la polygamie, qui est la situation où un seul mâle, en raison de sa force, de sa combativité ou de sa séduction, gouverne un harem de femelles, produit les mêmes effets que l’inégalité numérique des sexes : de nombreux mâles − « et ce sont certainement », écrit Darwin, « les plus faibles et les moins attrayants » (chap. VIII) −, ne pourront pas s’accoupler. On peut penser également qu’étant donné cette situation, il faudra d’autant plus de qualités à un mâle non seulement pour conquérir, mais pour conserver ses femelles et protéger ses petits. Les mâles écartés de l’accouplement ne le sont toutefois pas généralement d’une manière définitive, mais ne peuvent la plupart du temps s’unir qu’à des femelles moins vives, ce qui rejaillit négativement sur la qualité de leur descendance des deux sexes.
Les modifications qui déterminent les différences intersexuelles de l’apparence extérieure chez de nombreuses espèces sont généralement plus accusées chez le mâle que chez la femelle. Le fait que les mâles soient plus ardents, plus combatifs, et qu’ils aient presque toujours l’initiative de la poursuite amoureuse, entraîne indirectement un développement plus fréquemment remarquable des caractères sexuels secondaires chez le mâle. Il faut cependant se souvenir de ce que l’apparente passivité des femelles n’exclut pas cependant de leur part un choix déterminant lors de l’acceptation du mâle.
Une dernière idée doit être ici évoquée, en réponse à une erreur courante qui a voulu faire de Darwin le théoricien de l’infériorité naturelle des femmes. Certes, Darwin analyse en termes évolutifs, puis historiques, les raisons de l’infériorité statutaire des femmes dans la société qui lui est contemporaine. Mais il voit dans l’éducation le ressort de leur égalité à venir, et la conviction qu’il défend d’une détention par les femmes de cette forme originaire et germinale de l’instinct social (base des sentiments moraux) qu’est l’amour maternel le conduit en toute logique à placer en elles l’espoir de l’évolution affective et éthique future de l’humanité [3].
[1] P. Tort, La Pensée hiérarchique et l’Évolution,
Paris, Aubier, 1983, en particulier le chapitre intitulé « L’effet réversif et sa logique : la morale de Darwin », p.
165-197.
[2] Voir P. Tort, « L’effet réversif de l’évolution. Fondements
de l’anthropologie darwinienne », dans Darwinisme et société,
Paris, PUF, 1992, p. 13-46.
[3] Voir l’article « Femmes » du Dictionnaire du darwinisme
et de l’évolution, vol. 2, et L’Effet Darwin.
La persistance extraordinairement tenace d’erreurs d’interprétation concernant le versant anthropologique de la pensée darwinienne s’enracine dans le moment précis qui sépare la publication en 1859 de L’Origine des espèces et celle, en 1871, de La Filiation de l’Homme. Cette décennie décisive, au cours de laquelle les partisans de Darwin – lesquels étaient pour la plupart loin d’être « darwiniens » – incitèrent sans relâche ce dernier à étendre à l’Homme son propos transformiste dans un livre qui, pour avoir été trop longtemps attendu, ne sera pratiquement jamais lu dans sa littéralité ni entendu dans sa logique, a vu en effet se développer le « système de l’évolution » du philosophe Herbert Spencer et son « darwinisme social », application impitoyable du principe de l’élimination des moins aptes au sein d’une concurrence sociale généralisée. Elle a vu également, à partir de 1865, la naissance de l’eugénisme de Francis Galton, recommandant l’application compensatoire d’une sélection artificielle aux membres du groupe social pour lutter contre la dégénérescence issue de l’affaiblissement du rôle de la sélection naturelle en milieu de civilisation. Ces discours – parfois inconciliables dans leurs principes mais convergents dans leurs effets – développaient ensemble une référence également réductrice à la théorie darwinienne de la sélection, dans un accord global avec les tendances dominantes de la société industrielle anglaise emportée par l’ivresse de sa métamorphose libérale. Aucune de ces deux « déviations » n’a reçu l’aval de Darwin, qui a pris position dans l’ouvrage de 1871 contre les positions et recommandations sociales et politiques qui en émanaient. Mais la confusion était née, soutenue par un système de pensée et ancrée dans le vocabulaire théorique, de sorte qu’aujourd’hui encore, un travail idéologique incessant s’obstine, contre l’évidence historique, logique et textuelle qui ressort de l’examen approfondi de l’œuvre darwinienne, à parer du nom et du prestige de Darwin – le plus souvent au moyen de montages citationnels – des doctrines ou des pratiques, telles que l’anti-interventionnisme social radical, l’impérialisme, le racisme, le « sexisme » ou l’eugénique négative, qu’il a toujours expressément combattues.
• C. DARWIN, Journal de bord (Diary) du Beagle, Genève, Slatkine, 2011.
• C. DARWIN, Esquisse au crayon de ma théorie des espèces (Essai de 1842), Genève, Slatkine, 2007.
• C. DARWIN, L’Origine des espèces [édition du Bicentenaire], Genève, Slatkine, 2009.
• C. DARWIN, La Variation des animaux et des plantes à l’état domestique, Genève, Slatkine, 2008.
• C. DARWIN, La Filiation de l’Homme et la Sélection liée au sexe, Genève, Slatkine, 2012.
• C. DARWIN, The Autobiography of Charles Darwin 1809-1882. With the Original Omissions Restored. Edited and with Appendix and Notes by his Grand-daughter Nora Barlow, Londres, Collins, 1958.
• P. TORT (dir.), Dictionnaire du darwinisme et de l’évolution, Paris, PUF, 1996.
• P. TORT, Spencer et l’Évolutionnisme philosophique, Paris, PUF, « Que sais-je ? » n° 3214, 1996.
• P. TORT, Darwin et le Darwinisme, Paris, PUF, « Que sais-je ? », 2005.
• P. TORT (dir.), Pour Darwin, Paris, PUF, 1997.
• P. TORT, Darwin et la Science de l’évolution, Paris, Gallimard, « Découvertes », 2000.
• P. TORT, La Seconde Révolution darwinienne, Paris, Kimé, 2002.
• P. TORT, L’Effet Darwin (Sélection naturelle et naissance de la civilisation), Paris, Seuil, 2008.
• P. TORT, Darwin n’est pas celui qu’on croit, Paris, Le Cavalier Bleu, 2010.
• P. TORT, Darwin et la Religion (La conversion matérialiste), avec la collaboration de Solange Willefert, Paris, Ellipses, 2011.